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8 | LE MAL-ÊTRE ADOLESCENTDU MAL-ÊTRE À LA CRISE SUICIDAIREMarie-JoséAmbrosiniÉcoutante-rédactrice sur le dispositif Fil Santé JeunesÀ l’adolescence le malaise à êtreLes mots pour dire ce sentiment diffus qu’est le malaise, n’arrivent pas aisément à l’adolescence. Pour évoquer ses inquiétudes et sa souffrance, le jeune doit trouver un lieu d’accueil, un lieu sécurisant, où il pourra s’exprimer avec assurance, trouver une écoute bienveillante et professionnelle. Parler sans être vu, telle est souvent sa demande. À 15 ans, lorsqu’on a le sentiment que plus rien ne va, une trop grande proximité peut faire peur. L’anonymat représente alors une assurance.Sur Fil Santé Jeunes, lorsqu’un adolescent décide d’utiliser le téléphone ou Internet, il ose des questions intimes, des questions délicates et même des confidences douloureuses, sans risque, sans crainte d’être jugé, de paraître ridicule. Il a le sentiment de maîtriser l’outil et de pouvoir interrompre l’échange s’il se sent soudain en danger, s’il se sent débordé... Quitte à revenir plus tard, ayant été mis en confiance.Tous les entretiens, auxquels je ferai référence, sont issus d’échange avec des adolescents qui, sur Fil Santé Jeunes, évoquent leur appréhension, leurs doutes et donc leur difficulté à négocier cette phase de la vie, encombrée de débordements et de bouleversements de tout ordre. Chacun de leur ressenti fragilise l’estime de soi et perturbe leur quête identitaire. Néanmoins, je ne ferai pas référence à des situations avec des signes de dépression et encore moins d’idée suicidaire mais plutôt de malaises plus ou moins violents, inhérents à l’adolescence, mais qui s’atténueront en même temps qu’émergera la maturité.La perte ou le manque de repèresJ’ai retenu le témoignage d’un garçon de 16 ans qui décrit sur la BAQ (Boîte À Questions de Fil Santé Jeunes), sa traversée du désert. Si j’ai choisi des extraits de ce témoignage, c’est parce qu’il est riche de plusieurs des paradoxes qui sont à l’origine du mal-être adolescent.« Bonjour je suis complètement perdu. Je n’ai que peu d’expérience en amour si ce n’est que j’ai follement aimé une fille l’année dernière. Amour qui était, je crois, réciproque. J’étais le plus heureux du monde. Mais ayant un gros manque de confiance en moi, je n’ai pas pu déclarer clairement mes sentiments et elle a coupé les ponts. Depuis, je suis infiniment triste. Je m’isole pour pleurer. Elle me manque tant. »Ce garçon est amoureux mais il ne peut pas prendre le risque d’une éventuelle déception. Il est écartelé entre des ressentis contradictoires, enthousiasme et repli sur soi. Parfois, il est invulnérable, il a une force colossale et puis, tout d’un coup, il se déprécie et s’enferme dans sa chambre pour pleurer.« Malgré cela, depuis toujours, je regarde les hommes dans la rue. Je pense que c’est le manque d’assurance qui m’oblige à me comparer à eux. Il m’arrive d’avoir une érection quand je regarde des photos d’hommes musclés qui correspondent aux normes de beauté. Ça me trouble, je suis perdu. Lorsque je regarde ces hommes plus beaux que moi, je pense que la sensation que j’éprouve n’est pas une attirance mais plutôt une très grosse jalousie et commencent alors de longues heures de réflexion. Est-ce que je suis homo ou juste envieux ? »Là, se pose un questionnement sur l’orientation sexuelle. Mais, dans cet extrait, l’adolescent témoigne de la difficulté d’ajuster l’image idéale de soi et l’image d’une réalité qui est forcément décevante.« Dès la 6ème, j’ai commencé à prendre conscience que le temps passait et que je commençais à grandir. Mais je ne l’acceptais pas. Et c’est encore le cas. C’est aussi cette absence d’envie de grandir qui m’a empêché d’exprimer mes sentiments à la fille que j’aimais. En effet, sortir avec une fille, c’est pour moi signe de quitter l’enfance et je ne me sens pas prêt. »En fait, il évoque très clairement sa difficulté à envisager de quitter, d’abandonner l’enfance sécurisante et la difficulté qu’il a à se projeter dans le monde adulte.« Je suis perdu dans ce que je ressens, et puis je me souviens qu’à partir du collège jusqu’au début du lycée, on a pas cessé de me demander si j’étais homosexuel. Ça allait parfois jusqu’aux insultes. Donc, je pense que le fait d’être confronté en permanence à des moqueries m’a poussé à me diminuer par rapport aux autres garçons et à me considérer comme un sous-garçon. Je ne cherchais même pas à m’intéresser aux filles parce que je savais que c’était peine perdue. C’est la raison pour laquelle j’ai entrepris un énorme travail sur mon apparence, dès la fin du collège, pour paraître plus attirant. Mais, le résultat est en demi-teinte. »On retrouve dans ce passage le questionnement lié à l’orientation sexuelle mais aussi l’exploration par cet adolescent de son corps, qui le déçoit ; son corps qui n’a pas une apparence satisfaisante. Cet adolescent parle de sa traversée du désert mais, vous l’avez sans doute remarqué, il a de grandes ressources. Il est en capacité de formuler ses ressentis. Il est en capacité de les analyser, de les penser et même de leur donner du sens. Cet adolescent est très mature. Ce n’est pas toujours le cas. Les jeunes qui nous contactent, se questionnent, nous questionnent sur des problématiques qui peuvent paraître incohérentes, illogiques. Dans tous les cas, elles sont forcément déconcertantes pour leurs proches, en particulier pour leurs parents, mais surtout terriblement inquiétantes pour eux. Fil Santé Jeunes prête une attention toute particulière à ces problématiques. Voici, sans analyse, des instantanés du malaise entendu.La relation avec les parentsLa première de ces questions est : « Comment s’émanciper des parents » ? À cette époque de la vie, l’adolescent se confronte à l’ambivalence et à la complexité de ses désirs. Il est tiraillé entre le désir de se démarquer, de se confronter aux adultes, mais en même temps, au besoin de s’identifier à eux ; désir de prendre de la distance avec les parents mais, en même temps, le besoin de se savoir protégés par eux. Je cite l’exemple d’un adolescent de 14 ans dans une situation de harcèlement scolaire dont il est victime. De son propre dire, il est un très bon élève dans un collège pourri. Lorsque je lui demande s’il en a parlé à ses parents, il dit : « Non, ce n’est pas la peine, je crois qu’ils s’en foutent. Ils ne pensent qu’à leur travail et puis, je suis sûr, qu’ils me répondraient qu’il faut que j’apprenne à me défendre tout seul. » Il me dit son mal-être, l’incompréhension des adultes, l’injustice, sa solitude. Et puis, il finit par dire qu’il va fuguer. Et, lorsqu’il prononce ce mot, je lui fais part de mon


































































































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