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inquiétude. Il me répond : « En fait, ce que j’aurais aimé, c’est que ce soit ma mère qui soit inquiète ». La situation, est paradoxale, et encore plus insupportable pour ce jeune garçon, parce qu’il veut fuguer pour s’éloigner de cette situation de harcèlement. Mais aussi, il est prêt à provoquer l’inquiétude de ses parents en prenant une conduite à risque, uniquement pour s’assurer, pour tester leur inquiétude et plus particulièrement l’attitude de sa mère.À l’adolescence, la relation avec les parents est un premier point qui peut devenir difficile. Ce lien peut devenir menaçant lorsque l’adolescent doit remanier ses relations avec ses parents qui, d’un seul coup apparaissent à ses yeux comme étant un homme et une femme. Il peut alors se méfier de la tendresse qu’il a, jusqu’à présent, prouvé et montré à ses parents ; plus particulièrement, avec le parent du sexe opposé. Voici le cas d’un autre adolescent de 14 ans. Il dit qu’il s’est masturbé dans la douche, qu’il a quitté la salle de bain, qu’il a pris la précaution de bien nettoyer les parois de la baignoire. Mais, lorsqu’il quitte la salle de bain, sa mère rentre à son tour pour faire sa toilette. Et il se demande, il nous demande : « Est-ce qu’il est possible qu’il reste du sperme sur la paroi et que ma mère soit enceinte de moi ? »L’évolution du corpsUn deuxième point est le corps. Évidemment, il y a beaucoup de questions sur cette thématique. Le corps, cet étranger. La puberté, c’est le processus qui s’impose aux jeunes et qui s’exprime d’abord corporellement. C’est aussi la raison pour laquelle, il investit ce corps de façon ambivalente. À la fois, ce corps peut être un faire-valoir narcissique, d’où l’intérêt pour les fringues, pour l’image, pour la mode, pour les vêtements. Mais c’est aussi un objet maltraité lors de conduites à risque avec scarifications. C’est aussi un sujet angoissant. J’ai l’exemple d’une très jeune fille qui parle de ses « monstruations ». Cela en dit beaucoup sur son angoisse. C’est l’époque où naissent les complexes, les inquiétudes à propos des kilos en trop, des seins trop gros, trop petits. Beaucoup de question sur la taille du pénis. Quelle est la taille normale du pénis à 14 ans ? Quelle est la taille normale du pénis à 16 ans ?À l’adolescence, l’anatomie, l’apparence physique sont des sujets récurrents. J’évoque une jeune fille de 14 ans, qui est en train de négocier avec ses parents l’autorisation de se faire tatouer. Elle dit : « Voilà peut-être que ma question va vous paraître bête mais, est-ce que si je me fais tatouer, lorsque je serais grande et si j’ai un bébé, est-ce qu’il aura le même tatouage au même endroit quemoi?»L’identité sexuelleAu cours de l’adolescence, le jeune poursuit la construction de ses représentations en intégrant une identité sexuée, c’est-à-dire l’acceptation d’un corps biologique sexué et la prise en compte de son orientation sexuelle. Mais, son orientation peut être à l’origine de plusieurs questionnements. À ce propos, je voudrais vous parler du témoignage d’un garçon de 19 ans. Il est en classe préparatoire littéraire et il s’exprime avec beaucoup d’aisance et son témoignagem’a paru extrêmement intéressant. J’ai été surprise par les mots employés : « Je voudrais vous poser des questions concernant l’hétérosexualité refoulée parce que je suis homo par convention ». Il évoque une famille bienveillante, des parents intellectuels très préoccupés par leurs recherches universitaires et extrêmement respectueux de la personnalité de leurs deux fils, qui sont extrêmement différents. Il dit : « mon frère aîné est mon meilleur ami. Parfois, on se dispute ; parfois, il me traite de pédale, mais c’est jamais méchant. Depuis mon enfance, j’ai toujours préféré jouer avec des filles et, en grandissant, je suis toujours en leur compagnie. Je m’ennuie avec les garçons. Je les trouve immatures, je ne m’intéresse pas à leurs activités. Je correspond donc au stéréotype de l’homosexuel. » Malgré quelques insultes de son grand frère, l’adolescent a grandi dans une famille où était reconnue et officialisée son homosexualité. Elle était dite sans censure : « Je considérais comme étant une chance de ne pas avoir à justifier mes goûts et mes centres d’intérêt. Mais, aujourd’hui, je me demande si je ne suis pas homosexuel par conformisme. En fait, je n’ai jamais eu envie de relation sexuelle avec un garçon et je ne peux pas imaginer en avoir une avec une fille puisque je suis sensé être homo ». Cet appel est très riche en informations.La rencontre avec l’autreMalgré son appartenance rassurante à un groupe de pairs, ses efforts pour en accepter les codes et les rites vestimentaires, gestuels, le jeune est souvent confronté à une solitude angoissante. Je pense à un jeune garçon de 14 ans qui appelle et qui me dit qu’il va mal. Il me dit que ses parents sont très préoccupés par leur travail, ils rentrent tard le soir. Il est fils unique. Et lorsque je lui demande s’il a des amis, spontanément, il répond : « dans la vraie vie ? » Il précise alors que non, dans la vraie vie, il n’a pas d’amis. Il a des amis sur les réseaux parce qu’il joue beaucoup en ligne. La rencontre avec l’autre, c’est aussi l’expérience de la rencontre amoureuse, lorsque la maturité génitale de l’adolescent n’est pas forcément synchronisée avec sa réalité encore infantile. Cette première fois, cette première rencontre amoureuse est donc source de menaces, de tensions, de malaises. Elle fait osciller l’adolescent entre un sentiment de puissance, de désir, d’absolu mais, en même temps, d’une grande vulnérabilité. Il est confronté à des espoirs, à ce moment, mais aussi à des craintes ; la crainte de ne pas être à la hauteur, la crainte d’être nul, la crainte que l’autre, le partenaire, se moque de lui , vu son incompétence.Et je vais terminer par un très joli appel d’un adolescent, qui prétend avoir 15 ans mais, je pense qu’il en a un peu moins. Il prend beaucoup de précautions oratoires pour poser sa question. Il dit : « Peut-être, Madame, que vous allez trouver ma question malpolie. Voilà, je vais avoir ma première fois. Je sais tout sauf un truc mais je crois que ce truc, il est hyper important. Je connais le mot, mais je ne sais pas comment on fait. Alors madame est-ce que vous voulez bien me dire comment on fait une féculation ? »Et lorsque je lui demande s’il a des amis, spontanément, il répond :« Dans la vraie vie ? »LE MAL-ÊTRE ADOLESCENT | 9


































































































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