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10 | LE MAL-ÊTRE ADOLESCENTLE MAL-ÊTRE ADOLESCENTDidierLauruPsychiatre, psychanalyste, conseiller clinique à l’École des Parents et des Éducateurs d’Île-de-FranceL’adolescence :synonyme de transformation du corpsJ’ai tendance à dire qu’il n’y a pas d’adolescence sans puberté. Tout le monde connaît les transformations du corps, croissance, épaississement,... Mais, deux aspects sont plus particulièrement intéressants :• les transformations liées à l’apparition des caractères sexuels secondaires : pilosité, poussée des seins, développement du pénis, des testicules, ...• les transformations du corps relatives à l’acquisition des caractères de la génitalité, qui permettent les rapports sexuels et la procréation.L’effet miroir de ces changements corporels réside dans la difficulté de l’adolescent à s’habituer à son nouveau corps. On trouve, ici, tout le développement des processus ou des problématiques adolescentes. On l’appelle de différentes manières. L’adolescence ne peut pas apparaître tant qu’il n’y a pas eu la puberté : phénomène biologique qui se déclenche tout seul. C’est autre chose. On peut définir le malaise ou le mal-être adolescent, comme une espèce de sentiment diffus, vague. Le jeune ne se sent pas très bien. Il éprouve des problèmes de rapport avec son corps, mais également avec lui-même, avec son psychisme et celui des autres, dans sa relation aux autres. Il ne s’y retrouve plus et cela lui est assez difficile à vivre.De l’ordre de la normalitéMais, j’insiste sur un point, c’est finalement quelque chose qui est de l’ordre de la normalité. Il ne s’agit nullement de « psychologiser » ou psychiatriser, outre- mesure, ce type de phénomène.Si chacun d’entre nous se penche un peu sur son adolescence, il peut se souvenir de moments d’ennui, de mal-être, et dont il avait des difficultés à comprendre le pourquoi ; exactement comme les adolescents d’aujourd’hui. Ils ont ce sentiment, un peu diffus, d’angoisse, où ils ne se sentent pas bien dans leur peau. En fait, ils nomment de cette façon le rapport au corps. C’est ce que je définis comme le mal-être plus proche de la normalité. Ensuite, il y a la dépressivité, cet état de malaise un peu plus prononcé, à cheval sur de la psychopathologie. Et puis, enfin, il y a la dépression qui est franchement un phénomène pathologique.L’âge des grandes questions métaphysiques« Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ? » Ce sont toujours les mêmes questions, mais il est important que les adolescents se les posent. Comme évoqué, ils deviennent aptes à procréer, en tous cas physiologiquement, peut-être pas encore psychiquement. Tout d’un coup, aux questions qu’ils se sont posées depuis leur petite enfance : « D’où je viens ? » « Comment fait-on les bébés ?» , s’en ajoutent d’autres ; telle que « Quelle est la structure de personnalité de mes parents ? » À tout ceci, s’ajoute dans le même temps, le moment où s’opère, ce qu’on appelle, la bascule des identifications. Les parents qui étaient en haut, sur un piédestal, deviennent des êtres un peu communs, un peu banaux qui ont leurs défauts, leurs travers. Ils sont en panne d’identification.Une remise en question normaleCette remise en question des parents est, à peu près, inévitable. Elle va se produire selon des modes plus ou moins bruyants. Lorsque les images tutélaires et protectrices s’estompent, il faut se trouver d’autres sources d’identification. Au début, ce sont les pairs. Ensuite, ce sont les figures un peu plus lointaines : grands frères, cousins, oncles, tantes ... ou surtout idoles. Ces dernières représentent des figures d’identification un peu fortes, omniprésentes dans les médias. À ce moment-là, il est à nouveau possible pour le jeune de s’identifier et de reprendre confiance en lui. Ils trouvent d’autres assises. Quoi qu’il en soit, la remise en question des parents existe toujours.C’est un phénomène nécessaire et plutôt normal. Il s’agit de se resituer dans sa génération et dans le cycle des précédentes, comme celle des parents ; de se resituer dans un présent difficile. L’adolescent doit se positionner subjectivement dans sa relation à lui- même et dans ses relations aux autres. Et là encore, en lien avec le corps, apparaît une nouveauté : le fait d’être désirant et désirable. Il n’est pas toujours facile d’être désirable pour un adolescent ou surtout une adolescente. Le regard sexué se pose, tout d’un coup, sur le corps de l’adolescent. Ce regard est difficile à gérer, entre une nouvelle identification et la reprise stricto sensu des images parentales pour leurs enfants. Il faut en appeler à une subjectivation de chaque jeune, pour qu’il s’y retrouve et qu’il fasse son projet de vie ou crée des liens avec d’autres.« Tout, tout-de-suite »Partons de 1968. Il y avait nombre d’images très politisées qui étaient autant d’idéaux politiques forts. Aujourd’hui, ces derniers sont largement en perte de vitesse, et ce, depuis assez longtemps. Pourtant, à l’époque, parmi ces images, il y en avait une, particulièrement adolescente et intemporelle, matérialisée par l’expression : « Tout, tout-de-suite. »Pour nous, psychanalystes, psychiatres, psychologues, elle correspond exactement à l’image de la pulsion, celle à laquelle les adolescents sont soumis. Ils sont bombardés par leurs pulsions internes. Ils veulent que la pulsion aboutisse tout-de-suite, en particulier au niveau sexuel. Et cela est très compliqué à vivre. Dans ce passage obligé, il s’agit pour eux, de trouver leur chemin, la voie pour s’affirmer, se poser en tant que sujet, même s’il y a besoin de remettre en question les idéaux parentaux. D’habitude, cela se passe assez harmonieusement, mais il y a aussi des transitions plus bruyantes : claquements de portes, cris, ...Nous, professionnels, sommes souvent un peu inquiets lorsqu’on nous dit que tout se passe bien à la maison, qu’il n’y a aucun problème : « Il est vraiment très gentil. Elle est adorable, Il fait tout ce qu’on lui demande... »Il vaut mieux qu’il y ait un petit peu de conflictualité qui s’instaure ; c’est un contexte plus propice à l’affirmation du sujet et son devenir. Ce passage obligé ne s’arrête pas forcément entre 18 et 25 ans. Cela peut parfois durer beaucoup plus longtemps.


































































































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