Page 12 - COLLOQUE-FSJ_32P.indd
P. 12

12 | LA DÉPRESSIVITÉ À L’ADOLESCENCENOUS SOMMESDES CRÉATEURS D’AMBIANCEPhilippeJeammetPsychiatre, psychanalyste et professeur des Universités Paris-DescartesAujourd’hui, si l’on veut être entendu, il faut dramatiser. L’adolescence n’est pas une maladie. C’est la réponse de la société à un phénomène physiologique qui existe depuis toujours. C’est ce passage de la puberté qui entraîne une situation où l’adolescent doit reprendre à son compte tout ce qu’on lui a légué, dont il n’a rien choisi. On est dans une sorte d’atmosphère de fond, d’ambiance dépressive. On ne peut pas dire qu’on est en mélancolie mais... globalement, c’est la dépressivité.Il faut dissocier adolescence et difficultés. Je pense que les adolescents actuels n’ont jamais eu autant de chances, mais également des risques proportionnels. Les enquêtes prouvent que l’adolescence d’aujourd’hui va majoritairement bien. Ce sont plutôt les adultes qui leur renvoient une image de doute sur leurs capacités.Pourtant, l’être humain est formidable. C’est le seul être vivant sur Terre qui soit capable d’être conscient de lui.. Mais, profondément, l’humeur, les émotions, ce qu’on appelle l’humeur, personne ne la choisit. L’humain ne choisit pas le matin ses émotions du jour. Parmi elles, l’anxiété est contagieuse. Par mimétisme, l’humain fonctionne en effet miroir. Les difficultés existent , parmi les plus vulnérables. La vulnérabilité est souvent une chance lorsqu’elle est une hyper-sensibilité mais devient un risque lorsqu’on est déçu, à la mesure de ses attentes.La vie est un potentiel. Chacun ignore de lui-même une grande partie de ce qu’il peut être. C’est une tension entre deux potentialités. Plus les attentes sont grandes, plus les déceptions le sont. La vie doit demeurer une chance. Nous avons de plus en plus de possibilités de choix. Nous sommes tous des créateurs d’ambiance. S’il l’ambiance est morose, ce n’est pas la catastrophe. On la subit, et on pourrait se dire qu’on peut, peut-être, jouer avec ça. Au fond, le psychique pour moi, c’est le jeu, la capacité de jouer. C’est ce que ne peuvent pas faire les animaux. La vie est belle, mais l’ambiance dépend de nous. Il nous appartient de favoriser ce qui vaut la peine de vivre. Nous n’avons pas tous les pouvoirs, le risque de la déception est présent. Mais, il y a toujours la possibilité d’un autre, et c’est ce message qu’il faut faire passer. La fermeture et la destructivité sont des tentations, car elles rassurent au sens où l’on devient maître de son destin. « Si je ne passe pas d’examen, je suis sûr du résultat. Si je le passe, je dépend à nouveau de l’autre. » Vous n’avez pas à vous abîmer pour vous sentir exister. C’est une tentation humaine, qui n’est pas folle, car sur le moment, elle soulage. C’est un moment de pouvoir de force, où l’on a une impression de vivre, qui va tourner à la catastrophe. Ce qui est profondément triste est, que derrière tout cela, il y a tellement d’attentes. Les mettre en garde, ne consiste pas à dire, ce qui est bien ou ce qui est mal.La vie est forcément une dépendance aux autres. La solitude n’engendre pas le bonheur. Non seulement, le partage est un véritable besoin, mais il ne dure pas constamment. On sait que cela va se reproduire, mais l’espoir et la confiance sont indispensables. Dès qu’on est dans la vie, dans l’amour, l’échange, on dépend de l’autre. Personne ne peut garantir le bonheur, le succès, le plaisir. Par contre, l’ennui ou l’embêtement de l’autre, c’est plus facile.Nous avons oublié que nous étions des générateurs d’ambiance. La vie est belle, mais l’ambiance dépend de nous. Il nous appartient de favoriser ce qui vaut la peine de vivre. Nous n’avons,encore une fois, pas tous les pouvoirs. Le risque de la déception est là. Mais, il y a toujours la possibilité d’un autre ; et c’est ce message qu’il faut faire passer.La dépressivité n’est pas la dépression, mais peut le devenir. L’ensemble des troubles dits mentaux ne sont pas mentaux. C’est émotionnel. Un harcèlement physique est aussi psychique. On ne sait pas ce qu’est le psychique. On l’a appelé l’inconscient, où l’on peut mettre tout ce qu’on veut ; ce n’est pas faux, mais de là à en faire le grand ordonnateur. On a même voulu le penser comme un langage, purement hypothétique sans aucune base.La vie, chez l’animal, comme pour nous, se base à partir de la confiance et de la peur. On oscille entre les deux. Dès qu’on est confiant, on s’ouvre au monde ; il y a l’échange. C’est la vie avec toutes ses structures. Et, dès qu’on a peur, on se renferme, on quitte. C’est la destructivité. On se barricade, plus ou moins en fonction de son tempérament ou ses échanges avec les autres. C’est la réalité de l’adolescence qu’il faut accompagner, riche de possibilités et d’incertitudes.Toute la vie est une tension, forcément insupportable, parce qu’on ne peut pas la maîtriser. On dépend de l’environnement constamment, surtout pour les adolescents. Ils nous renvoient constamment au besoin d’avoir des réponses claires, au vrai du faux. Il y a du bien et du mauvais, dans tout. Il faut s’ouvrir au risque de la déception. S’enfermer est mortifère.L’humain peut générer des valeurs aussi bien créatrices que destructrices. Les secondes sont plus faciles parce qu’elles donnent le pouvoir, la maîtrise de la destruction. La construction renvoie à la dépendance à l’autre. Il faut dire aux adolescents la force qu’ils ont en eux : la force biologique, la force de leur cerveau. Il faut leur expliquer ce jeu permanent destructivité/créativité. La peur, l’humiliation incitent normalement à se renfermer. Mais cela est potentiellement dangereux. On pense que c’est l’accès à un langage réflexif, qui fait prendre des décisions, comme se suicider, ou pas. Ce n’est pas une réflexion. Ce qui va pousser, c’est ce qui fait, qu’à un moment donné, en passant à l’acte, en agissant (et on agit aussi par une croyance), cela a la même valeur. Je crois que cela exprime exactement le syndrome de Stockholm. Du moment que je crois quelque chose qui donne sens, j’ai moins peur. Je me sens moins seul. Je vais mieux. Comme pour un acte. Et, on va s’accrocher à ce moment-là, à l’acte parce qu’on est mieux. Mais, en fait, on croit avoir choisi. On choisit rarement. On choisit, en général, ce qui nous arrange. C’est pour ça que les hommes ont des croyances. C’est invraisemblable ce que l’on peut croire, parce que ça nous arrange sur le moment. C’est- à-dire, si je crois ça, je suis plutôt mieux. Et, si je suis mieux, c’est que c’est vrai ; « je suis mieux parce que c’est beau, parce que ça me touche ». Il y a une belle musique. Mais, ce n’est pas la vérité, c’est ma vérité du moment, ma belle vérité ! Mais, si cette vérité est dans la destructivité, alors là, parlez-en à un autre. C’est ça qu’il fallait conseiller aux Suédois ou à d’autres. Plutôt que de dire, « vous êtes, peut-être, schizophrènes, vous êtes de grands dingos » ... Dire : « Vous êtes sous


































































































   10   11   12   13   14