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Ensuite, viennent les questions qui concernent le contexte psychopathologique, les dimensions qui vont nous aider dans le diagnostic psychiatrique. Est-ce un véritable épisode dépressif majeur sous-jacent ? Est-ce qu’il y a un trouble psychotique ? Est-ce que cela s’inscrit dans un contexte de consommation de produits toxiques ? Est-ce qu’il y a des antécédents familiaux de tentative de suicide ? Quid du mode de vie, de la situation familiale, de la qualité des relations avec l’environnement, de la situation scolaire (impasse, redoublement, exclusion, ...) ? Quelles sont les personnes que, lui-même, vise comme personnes ressources ? Est-ce que c’est un adolescent ou une adolescente qui est coutumier de prendre des risques ou pas ? Quels sont ses projets ?L’allergie à la déceptionAprès le passage à l’acte suicidaire, souvent, il y a une espèce de soulagement, de banalisation, et le désir de mort est assez souvent critiqué en disant « mais non, simplement je n’en pouvais plus ». Cela vient souvent d’une allergie à la déception. Les projets, les envies de ces jeunes ne s’inscrivent pas dans leur réalité. Leurs idéaux sont tellement loin que cela finit par devenir insupportable. C’est dans ce paradoxe, dans cet écart par rapport au désir de vie, que l’agressivité se manifeste dans ce passage à l’acte suicidaire.Nombre d’adolescents disent : « j’aimerais que mes parents s’entendent bien », « j’aimerais être bon élève », « j’aimerais qu’on soit content de moi ». On voit bien qu’il y a du désir, de l’envie, mais l’écart avec la réalité est insurmontable. Nous essayons de reconstruire une certaine biographie, les ruptures affectives, des phénomènes de violence, des fugues. Nous cherchons les facteurs de risque qui nous alertent, et d’une récidive à court terme. L’entretien avec la famille et l’entourage est indispensable ; comment la famille et l’entourage se représentent le geste ? Comment vivent-ils ce geste ? Comment le comprennent-ils ? Sont-ils ou non surpris ? Avaient-ils perçu quelque chose ? Quelles sont les perspectives sociales, scolaires, éducatives envisageables ?L’hôpital rassureLes consultations durent entre une heure et une heure trente. Elles se font dans un contexte très médicalisé : urgences, box, blouses blanches, bruits, mouvements ... Pourtant, beaucoup sont rassurés par la blouse blanche. Ma dimension « psy » fait moins peur parce que j’ai la blouse blanche et il qu’il y a marqué docteur Chambry, de l’équipe des urgences. Je ne suis pas vu comme le psy qui s’intéresse à ce qui se passe dans la tête. Cette représentation inquiète un certain nombre d’adolescents. L’intérêt de l’hospitalisation permet de reprendre l’entretien à distance. Lorsque le choc de la tentative de suicide s’est apaisé, on peut voir si les discours se modifient durant ce temps d’hospitalisation. Si cette dernière se confirme, elle est faite en pédiatrie pour éviter, justement, cette notion de sur-psychiatrisation du geste, pour éviter aussi une dimension stigmatisante.La sortie peut faire peurSur un dossier estampillé « psychiatrie », le regard peut être différent. Il y aura une propension à analyser les troubles comportementaux sous le prisme de la pathologie psychiatrique. L’intérêt de l’hospitalisation en médecine pour adolescents, c’est l’habitude d’accueillir des adolescents. Les médecins vont continuer d’explorer les dimensions sociales, scolaires, familiales. Cela permet de penser, ensemble, l’organisation du suivi qui paraît le plus adapté. Dans certains cas, ce sera une orientation au centre médico-psychologique. Dans d’autres cas, cela peut être une orientation vers une profession libérale connue sur le secteur ou un médecin généraliste pertinent sur cette question. Ce n’est pas toujours possible, mais le contact est pris avant la sortie de l’hôpital. Il est totalement différent pour l’adolescent de prendre rendez-vous avec quelqu’un qu’il vient de rencontrer que de lui remettre une carte de visite. L’hospitalisation en pédopsychiatrie survient lorsqu’il y a un diagnostic psychiatrique avéré, avec enjeux de prescription de psychotropes, extérieure au cadre pédiatrique. Il peut y avoir des problèmes de comportements majeurs inadaptés aux conditions d’accueil d’un service ouvert de pédiatrie. On va alors se tourner vers une unité fermée. Cela veut dire que les portes sont fermées à clé.Le refus de l’hospitalisationL’adolescent peut refuser l’hospitalisation. On regarde si des consultations rapprochées peuvent s’y substituer. On va s’entretenir avec les parents pour connaître leur positionnement. On va s’apercevoir qu’un certain nombre de parents sont très inquiets du geste suicidaire, ne se sentent pas en mesure d’accueillir l’adolescent à la maison avec un sentiment de supériorité suffisante. On pourra être amené, dans certains cas, à proposer une hospitalisation « sous contraintes » pour l’adolescent qui requiert l’acceptation des parents. En cas de refus de l’adolescent et des parents, on s’attache à comprendre pourquoi. Dans la majorité des cas, il y a une angoisse de séparation très importante de la partde l’adolescent et de la part des parents. On va alors plutôt travailler sur un projet de consultations rapprochées. L’adolescent reste le soir à l’hôpital, mais les parents sont attendus dès 9h00 le lendemain matin pour une consultation. On va reproduire cette consultation pendant quelques temps. Le temps de continuer cette évaluation et proposer une organisation. Dans les cas rares, mais extrêmes, où nous estimons la vie du jeune en grand danger et que l’hospitalisation nous paraît indispensable, nous pouvons aller jusqu’au signalement au Procureur, avec une demande d’ordonnance de placement provisoire sur l’unité.Le suivi : difficulté du dispositifL’enjeu important est bien d’assurer la continuité de ce qui a été entrepris à l’hôpital, sachant que nous n’avons pas de véritable possibilité de faire des suivis. Il faut dire à l’adolescent qu’il sera suivi, mais pas par ceux qui l’ont accueilli. D’autant qu’il s’est souvent passé des choses très fortes durant la rencontre. Les familles sont aussi en difficulté parce qu’il y a eu toute cette mobilisation, cette disponibilité et qu’ils doivent s’adresser à quelqu’un d’autre. Cela peut correspondre à un sentiment d’abandon, de lâchage, d’incompréhension.Pour répondre à cela, nous avons lancé la mise en place un dispositif d’hôpital de jour. Tous les deux mois, nous recontactons les patients qui sont passés par les urgences. Se sont-ils rendus au CMP ? Comment vont-ils ? Sont-ils allés consulter la personne recommandée ? On essaye de maintenir le lien par des contacts téléphoniques. On va leur proposer de revenir un après-midi à l’hôpital pour refaire le point, pour discuter avec le psychologue, pour revoir le médecin somaticien, pour rediscuter des orientations. Les statistiques montrent que jeunes et parents apprécient ce lien.Les chiffres parlentEn moyenne, par an, nous recevons 80 adolescents qui ont réellement fait une tentative de suicide. 75 % sont hospitalisés en médecine pour adolescents et 1 % va revenir vers une unité de pédopsychiatrie. 35 % sont déjà dans des réseaux de soins, tels que les CMP. 10 % ne sont pas hospitalisés, ceux qui vont être dans le dispositif de consultations rapprochées. 15 % sont hospitalisés sur une unité de pédopsychiatrie. Nous avons moins de 30 % de perdus de vue pour les adolescents. Moins de 20 % récidivent. Ceci montre aussi que ce dispositif a une certaine pertinence puisque le risque de récidive majeur réside dans les six mois qui suivent le premier geste suicidaire. Au niveau clinique, pour les adolescents répondant aux critères d’épisodes dépressifs majeurs, le taux est de moins de 15 %. Donc l’association « suicide = épisode dépressif majeur » est finalement assez contestable.Le risque de la banalisationOn se retrouve avec des jeunes qui ont une image d’eux-mêmes souvent disqualifiées et avec une difficulté à vivre une vie, source permanente de déceptions. Il y a souvent une certaine impulsivité, une difficulté à temporiser, une difficulté à pouvoir effectivement panser les souffrances qu’ils rencontrent. Il est difficile pour eux de gérer une agressivité qu’ils ne savent pas comment exprimer : par exemple, vis-à-vis d’un entourage qui les déçoit, mais qu’ils savent fragile. Alors, il la retourne contre eux- mêmes. Ils se font mal à eux-mêmes pour faire mal aux adultes qui les déçoivent ou qui n’arrivent pas à être suffisamment disponibles pour eux. Le choix du médicament est assez intéressant. Aller prendre le médicament de l’un des parents, c’est aussi une façon de montrer qu’ils ne sont pas à la hauteur. « Vous n’êtes pas assez vigilants. » « Vous mettez ma vie en danger. » En effet miroir, les parents peuvent se positionner sur un mode agressif. « Il a tout pour être heureux, de quoi se plaint-il ? »Après le geste suicidaire, ce risque existe chez les adolescents ; comme s’ils ressentaient une force de vie qui avait été plus forte que leur agressivité, un soulagement qui légitimerait finalement leur existence comme l’équivalent d’une conduite ordalique. « Non, c’est pas grave, je recommencerai pas. » Il faut garder en tête que quelque chose s’est passée.Une présence de tous les instantsParmi les difficultés de notre dispositif, il y a la saturation occasionnelle , mais qui arrive. Il n’y a absolument pas de places d’hospitalisation, ni en médecine ado, ni en pédopsychiatrie, ni en pédiatrie générale.Notre grande difficulté, c’est de trouver les personnes ressources et les délais de consultation, qui sont parfois assez importants. Pourtant, lorsque nous appelons sur des motifs qui nous semblent urgents, on trouve souvent des collègues qui vont tout à fait jouer le jeu et vont trouver une possibilité par un accueil infirmier. Il ne suffit pas d’être dans une idée de mentalisation, de se dire que si on a compris le sens du symptôme, le risque récidive s’apaise. Il faut vraiment qu’il y ait, dans la vie réelle de cet adolescent, le sentiment que quelque chose change et s’engage. Ceci est vraiment notre objectif dans le dispositif mis en place.APPROCHES THÉRAPEUTIQUES | 31


































































































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