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fois pour toutes. Nous le relançons chaque année par 700 mailings. À l’instar de la sécurité routière, il faut multiplier les dispositifs pour gagner des vies.Notre dispositif se complète par 3 points Accueil Écoute Jeunes. Ils sont ouverts en continu avec ou sans rendez-vous. Ils peuvent venir une fois, arrêter, puis revenir pour trouver une attention bienveillante et prévenante, chère à Michel Walter, professeur de psychiatrie à Brest. Il s’occupe d’une unité, Angela Duval, qui accueille des suicidaires. Il insiste beaucoup sur cette notion de bienveillance, comme un élément important dans la prévention du suicide. Il est tellement important pour eux qu’on leur redonne cette place.Création d’une équipe mobileLorsqu’on habite dans une vallée, il est difficile pour un jeune d’accéder à un point d’accueil. Au bord du Rhin, dans le sud du département, c’est toujours trop loin. Nous avons mis en place une équipe mobile qui intervient sur appels. On évalue avec le professionnel, le parent, la personne appelante. Si c’est une urgence, on envoie une ambulance. Mais si l’adolescent va mal, on peut intervenir le jour même ou le lendemain dans tout le département. On fait sur place ce que fait un PAEJ, mais c’est nous qui allons les voir. En majorité, ce sont des garçons. 75 % des personnes accueillies en PAEJ sont des filles. Les garçons sont ceux qui ont le plus de mal à aller chercher de l’aide. L’équipe mobile est un outil irremplaçable.Nous avons un numéro vert créé suite à un colloque de Fil Santé Jeunes. Si le numéro est accessible 24h sur 24, c’est parce que l’hôpital de Rouffach assure la continuité, la nuit et le week-end. Même si nous avons très peu d’appels, chacun d’entre eux est reçu.Les adultes ou les parents nous appellent sur ce numéro vert. Les jeunes maintenant nous contactent beaucoup sur nos numéros de portables. Ils n’en abusent jamais. Par contre, ils nous envoient des SMS. Les liens sociaux protègent disait Durkheim ; un lien de qualité pour que le reste puisse se faire, puisse avancer. Je pense à un garçon que j’ai vu une fois en juin. Il voulait se défenestrer. Cela relevait d’une hospitalisation ; même prescrite par le médecin de la MDA, les parents ont refusé. Ils lui ont aussi interdit de me revoir. Mais, avec la collaboration de l’infirmière du lycée, il lui a été permis d’écrire. On maintient le lien, et ce lien est vital, parce qu’on communique également avec l’infirmière, avec le lycée, avec lui. Il n’est pas seul.« La vie est belle ». Frank CapraNous voyons à peu près 1000 jeunes par an. Nous faisons des actions de prévention en milieu scolaire, là où on ne fait pas de la prévention du suicide. Dans les lycées difficiles, où les garçons n’ont rien à faire de nous, on recueille pourtant des phrases lourdes. Elles évoquent un père en phase terminale d’un cancer du poumon, une mère ayant abandonnée le foyer, ... À l’issue d’une intervention, l’un d’entre eux m’attend à la sortie et me dit : « Plus tard, je reviens ». Il était effectivement là, quelques minutes plus tard au pot de clôture. Comme l’a dit le professeur Jeammet : « Il faut ouvrir ou rouvrir » ... Ils sont capables de plein de choses. Il faut voir et revoir « La vie est belle » de Franck Capra. Dans cette fable, on n’imagine jamais à quel point on peut compter pour les autres. C’est d’autant plus vrai avec les jeunes majeurs abîmés, isolés. Pour eux, un film n’a plus de valeurs. Un ami peut être le recours au travers de quelques mots. Le temps de parole est essentiel.Chez les jeunes, le décès d’un proche peut être la cause du mal-être. Cela se complique lorsque ce décès est un suicide. Nous avons communiqué auprès des professionnels, afin qu’ils soient attentifs sans être intrusifs. Prendre régulièrement des nouvelles dans les semaines qui suivent, là où l’isolement se ressent le plus. À ce moment, lorsqu’un jeune en classe évoque son père, celui qui vient de perdre le sien peut réagir violemment.La force de la proximitéLe premier avantage réside dans une implantation locale très forte et bein connue du réseau de professionnels. La petite taille de notre territoire nous permet de rencontrer les infirmières scolaires, d’envoyer un mail à tous les généralistes, de connaître tous les services sociaux, que ce soit l’AEMO, les IOE. SEPIA représente une alternative en matière de santé, facilement acceptable pour le jeune, en particulier celui qui est allé consulter un CMP, et qui ne veut plus y retourner. On accueille tout le monde. Nous orientons régulièrement vers les services de soins, les traitements. Contrairement aux inquiétudes qu’il y avait un peu au début, on ramène des gens vers le soin qui en étaient éloignés. Pouvoir parler avec les adolescents, évoquer certaines choses, représente une complémentarité avec de nombreux professionnels. On ne peut travailler sans les autres comme on ne peut vivre sans les autres.Il y a un public pour lequel les choses sont très dures. Les jeunes majeurs qui vivent dans un foyer et dont le contrat jeune majeur s’arrête. Ils sont seuls parmi les seuls. Allez faire des démarches à Pôle Emploi, à la Sécurité Sociale, c’est très difficile à vivre. Cela est plus ou moins difficile en fonction de la présence ou de la proximité d’une famille. Mais, pour ceux qui n’ont personne, il y a la nécessité d’un hébergement psychique.« Vous êtes Rémi Badoc ? »Un jour, un adulte est venu vers moi pour me demander « Vous êtes Rémi Badoc ? Vous vous êtes occupé de moi quand j’avais 17 ans au lycée ». On marque plus qu’on ne l’imagine. Ceci illustre l’importance à ce qu’il n’y ait pas de clivages entre prévention, suivi et soins. De même, lorsqu’un jeune quitte l’unité pour ados, on peut aller les voir. La fluidité entre les différents professionnels fonctionne le plus souvent. Le maintien du lien avec les jeunes est essentiel ; comme leur envoyer un petit texto à la rentrée scolaire : « Ça va ?»En conclusion SEPIA a mis en place un dispositif au service des adolescents en situation de crise de mal- être. Marie Choquet disait : « Si on n’entend pas les jeunes pour des petites choses, on ne les entendra jamais pour les grosses choses. » L’esprit qui anime SEPIA réside, à la fois, dans une culture professionnelle forgée au fil des années, une équipe stable, avec le souci permanent de l’autre. La prévention passe par la mise en œuvre de lieux et de dispositifs suffisamment accueillants pour briser l’isolement de ces jeunes suicidaires et de leurs familles. Notre premier boulot est de briser l’isolement, celui des parents et celui des jeunes. Mais ces actions ne peuvent fonctionner que si les différents professionnels arrivent à collaborer et à se parler. Lorsqu’on ne se parle pas, cela peut engendrer la mort. Il y a le secret professionnel certes, mais il y a le secret partagé. Il ne s’agit pas de piéger les ados. il s’agit de sécuriser un peu pendant un temps. Et vive la vie. Et c’est ce que disait le professeur Jeammet, il faut qu’ils aient en face d’eux des gens qui sont dans la vie et dans l’envie, qui pensent, qu’effectivement, il faut s’en sortir.« Vous vous êtes occupé de moi quand j’étais au lycée. »APPROCHES THÉRAPEUTIQUES | 29