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30 | APPROCHES THÉRAPEUTIQUESL’ACCUEIL DE L’ADOLESCENT SUICIDANT OU SUICIDAIRE AUX URGENCESJeanChambryPédopsychiatre au centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - Fondation Vallée, conseiller clinique à l’École des Parents et des Éducateurs d’Île-de-FranceDepuis plus de 17 ans, nous avons mis en place une articulation avec l’hôpital général et avec le CHU du Kremlin-Bicêtre, concernant l’accueil des enfants et des adolescents. Elle ne se réduit pas au cas des adolescents suicidants ou suicidaires. Il s’agit d’un dispositif d’urgences pédopsychiatriques qui existe sur le territoire du Val-de-Marne. Ce n’est pas un modèle à suivre, c’est un exemple, un partage d’expériences locales, qui s’inscrit dans une histoire territoriale, dans des moyens qui ont pu se dégager.Ce dispositif de consultations pédopsychiatriques d’urgence s’arrête à 18 ans. Il est intégré dans le dispositif de secteur de psychiatrie infanto-juvénile du département et qui se situe sur le site du CHU du Kremlin Bicêtre. Un pédopsychiatre, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, est toujours joignable, présent sur le site.Il a la possibilité d’accueillir et d’hospitaliser. Le dispositif comporte deux plateaux techniques, des urgences pédiatriques pour les moins de 16 ans et un plateau d’urgences somatiques à partir de 16 ans. Nous y intervenons pour évaluer les situations qui nous sont proposées, et participer à l’orientation des situations qui se présentent.Nous avons également d’autres outils : un service de médecine et de pédiatrie pour adolescents, les 13/20 ans. C’est une particularité locale historique, très ancienne, qui a été fondée par Victor Courtecuisse, puis reprise par Patrick Alvin, et actuellement par Lise Duranteau. Nous avons aussi des lits pédiatriques de 72 heures, un service de pédiatrie général qui accueille beaucoup de moins de 13 ans. Et nous avons 8 lits d’hospitalisation de pédopsychiatrie, sur le site, dépendant de la Fondation Vallée. Le dispositif est donc assez riche.Pour créer ce dispositif, nous sommes partis des recommandations de la future Haute Autorité de Santé : • Réaliser une évaluation somatique, psychologique,sociale pour écarter tout risque vital, et assurer lasécurité du patient,• Tenter de créer un climat de confiance, pour ensuiteproposer une orientation thérapeutique dans laquellele patient et sa famille pourront adhérer,• Évaluer les ressources psychologiques du patient,• Éliminer la possibilité d’une pathologie psychiatriquesous-jacente.Lors d’arrivées aux urgences, on se positionne sur un essai pour éviter toute psychiatrisation systématique. Derrière la tentative de suicide, on va essayer de différencier celle qui relève vraiment d’une prise en charge urgente en psychiatrie de celle qui pourrait bénéficier de soutien, mais qui ne s’inscrit pas forcément dans l’entrée en maladie psychiatrique.• Recherche des co-morbidités somatiques, parce qu’onsait qu’un des facteurs de risque de la tentative desuicide à l’adolescence, ce sont les maladies chroniques,• Rencontre des parents et de l’entourage pour avoir une idée de comment les parents peuvent comprendre les difficultés de leur adolescent. Est-ce qu’ils peuvent avoir une dimension empathique ou se sentent-ils très agressés par la tentative de suicide, et eux-mêmesrejetés et attaqués par le geste ?• Voir s’il existe des professionnels en lien avec cetadolescent dans les différents registres pour ensuitepréparer le suivi ultérieur qui parait le plus adapté. Toutes les études ont montré qu’il est très important d’orienter un adolescent vers un CMP, lorsqu’il n’a pas de risque vital engagé. On lui donne les coordonnées du CMP. On informe les parents de l’importance de l’accompagner,de prendre rendez-vous rapidement. Dans 99 % des cas, ils n’y vont pas. L’étiquette psychiatrique fait peur à tout le monde. Généralement, après le geste suicidaire, il y a une espèce de banalisation qui s’installe. On se dit « il est vivant », « il a promis de ne pas recommencer », « de toute façon, il ne voulait pas mourir, il voulait dormir ». On essaye de ne pas dramatiser la situation.Pour éviter l’hospitalisation, l’évaluation décrite est obligatoire. Mais, l’hospitalisation est nécessaire en cas de risque de récidive immédiate d’un jeune. Il s’agit du cas de celui qui affirme sa volonté de récidiver, dès sa sortie. S’il y a une pathologie psychiatrique décompensée, si on s’aperçoit que cette tentative de suicide s’inscrit dans une pathologie psychotique, avec une perte de contact de la réalité, avec des idées délirantes, il est évident et très important que des soins adaptés se mettent en place.La très difficile question de la dépression.Est-ce qu’il y a réellement un épisode dépressif majeur qui sous-tend ce passage à l’acte suicidaire ? Y-a- t’il uniquement des affects dépressifs ou vraiment une maladie dépressive qui nécessitera une prise en charge, et sûrement à un moment ou à un autre, une prescription médicamenteuse, et la mise en place d’une hospitalisation ?Parfois, on sent qu’il n’y a pas, dans l’entourage, de possibilité de soutenir cet adolescent. Il arrive que des parents refusent, par exemple, de se déplacer aux urgences. « Cela fait déjà deux fois, c’est un appel à l’aide, nous le savons, mais on ne la supporte plus. » Alors, si l’adolescent le souhaite, s’il exprime le besoin d’un espace pour se reposer, pour souffler, l’hospitalisation peut avoir tout sons sens, en vérifiant des points importants : impossibilité d’un suivi ambulatoire, rapide et structuré, aucune possibilité de rendez-vous possible avant six mois au CMP, manque de temps pour trouver les bons interlocuteurs et les relais appropriés. Comment tendre vers ces recommandations ?En collaboration ave les pédiatres, une hospitalisation systématique peut être envisagée pour tout adolescent ayant fait une tentative de suicide ou tout adolescent qui présente des idées suicidaires avérées, jusqu’à arriver au site des urgences du CHU. Cette hospitalisation n’est pas pensée comme une période curative où l’adolescent ressort guéri, ou du moins, mieux. Elle consiste à proposer au patient de prendre le temps d’explorer le sens et le contexte de cette tentative de suicide et de définir les moyens qui existent, les personnes ressources qui existent, dans son entourage, pour lui permettre, effectivement, à la sortie de l’hôpital, d’avoir vraiment un relais efficient. Cette continuité est essentielle pour éviter le syndrome du « ouf, c’est passé ».Le premier entretien aux urgencesLe professionnel en face de l’adolescent n’a pas l’étiquette « psy ». Son évaluation pédiatrique ou somatique, s’intéresse d’abord à la réalité du corps de cet adolescent et de ce qu’il peut en dire. Ensuite, dans un second temps, le pédopsychiatre sera interpellé pour venir discuter avec l’adolescent, sa famille, et essayer d’avoir une première exploration.Quelles questions va-t-on poser ? D’abord, celles qui peuvent permettre de préciser le contexte de la tentative de suicide, les modalités, le but, des facteurs précipitants. Est-ce qu’il y a eu une préméditation, une préparation, un projet suicidaire qui a précédé ? Est-ce qu’on ressent une certaine impulsivité, un court-circuit de la pensée dans l’acte qui a été mis en place ? Est-ce qu’il y a un maintien de ces idées suicidaires ou une critique de ces idées suicidaires ?