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24 | REPÉRAGE DES SITUATIONS À RISQUESINTERNET :UN PONT DE PLUS EN PLUS FRÉQUENTÉSamuelComblezÉcoutant-rédacteur psychologue sur le dispositif Fil Santé JeunesSi Fil Santé jeune existe, c’est parce que les jeunes ont voulu que nous communiquions avec eux, parler de santé sans avoir de problème particulier. Ils communiquent grâce à des supports qui leur sont proches et familiers : téléphone, Internet. Ils peuvent choisir l’espace d’expression qui leur convient : e-mails, forums, tchats collectifs comme HABBO.HABBO, communauté virtuelleHABBO est une grande communauté virtuelle, où les jeunes sont matérialisés par des avatars qu’ils conçoivent comme ils le souhaitent. Dès lors, ils peuvent se balader dans un grand monde virtuel : aller au théâtre, faire du foot, discuter entre eux dans les gradins, emprunter le bus HABBO. C’est là que nous intervenons. Deux fois par semaine, deux intervenants de Fil Santé Jeunes animent un groupe de parole qui réunit une dizaine de jeunes. Un thème de parole, à chaque fois, leur est proposé chaque semaine. Nous discutons autour de ce thème axé, surtout, sur la prévention santé.Les contacts avec Fil Santé Jeunes se font de plus en plus sur Internet. La fréquentation du site est en constante augmentation, depuis plusieurs années ; 2 700 000 visites sur le site l’année dernière. Avec Internet, les adolescents apprécient particulièrement l’anonymat, ainsi que l’absence de regards et de voix. Cela leur permet de plus facilement parler de santé, d’intimité, de problèmes personnels. Ces conditions leur permettent notamment d’éviter d’avoir à gérer l’inquiétude ou l’agacement que pourrait avoir l’interlocuteur. Tantôt, l’écran de l’ordinateur fait écran, pour se cacher. Tantôt, il fait office de loupe comme la toile du théâtre d’ombres chinoises. Avec doigté, les adolescents manifestent par écrit leur mal-être en l’amplifiant et peuvent ainsi manifester beaucoup plus l’attention des autres. Ils baissent, ainsi, leur propre tension intérieure. Les jeunes utilisent Internet comme une espèce de journal intime, public et interactif. Les adolescents d’aujourd’hui, représentent la génération Z, celle qui considère qu’Internet a toujours existé. Ils vont pouvoir titiller les autres internautes en se mettant en scène de manière assez spectaculaire.Attentifs entre eux.Voici l’exemple d’une contribution qui a attiré notre attention, sans nous inquiéter ; on va être vigilant sur son devenir et, surtout, sur les réactions des autres, en vérifiant qu’ils soient soutenants : « Je pense que je suis en train de perdre pied. Je sens mon sang. Je me suis frappée la tête moi-même à coups de poing violemment. Je perds pied et j’ai mal à la tête, la nausée. À quoi bon ? Je me sens morte. J’ai envie de mourir. Je me sens seule. J’ai peur des autres. Mourir ; ou alors que les personnes m’aiment sinon je veux mourir. Je suis perdue. Je suis folle. »Voici la réponse d’une jeune fille de 16 ans au témoignage précédent : « Bonjour, si tu es venue sur ce forum, c’est que tu avais besoin d’aide. La vie est difficile.Il faut toujours être à la hauteur, comme si on n’avait pas le droit à l’erreur. Pourtant, avant de pouvoir marcher, on est tous tombé. Et puis, on s’est relevé et on a réessayé, jusqu’au jour où on ne tombait plus. Tout ça pour te dire qu’il faut tomber pour savoir se relever. La pente est rude mais le sommet est grandiose. Ne baisses pas les bras même si c’est dur. Je suis passée par plusieurs tentatives de suicide ces précédentes années, et aujourd’hui la vie n’est pas meilleure, mais je m’accroche. Quand j’ai frôlé la mort, j’ai compris que je ne voulais pas mourir. J’étais juste fatiguée. Alors, s’il te plaît, ne commet pas d’erreur car tu ne connaîtras jamais le sommet. »L’échange de pensées entre jeunes dans une communauté anonyme permet de faire reconnaître son mal-être, d’entendre l’écho de son cri pour se rassurer et s’appuyer sur l’expérience des autres. Cela permet de sortir d’une solitude dans laquelle sont gardées secrètes les interrogations et les inquiétudes indicibles et supposées irréversibles. Les adolescents sont sensibles au mal-être des autres, et ils les accompagnent souvent avec force et beaucoup de solidarité. Ils incorporent souvent dans leurs réponses des éléments de leur propre histoire.Les idées suicidaires ne sont jamais banalisées sur Fil Santé Jeunes. Elles sont courantes à l’adolescence, à condition de ne pas être trop envahissantes. Les messages les plus interpelants évoquent souvent des situations extrêmes : abus sexuels, déception amoureuse, image corporelle fortement dégradée, rupture importante avec la scolarité, isolement, conduites à risques ou antécédents de tentatives de suicide. Les propos peuvent être directs : « Je vais me foutre en l’air », ou allusifs : « Je ne vous embêterai plus et vous aurez la paix. » Les validations et contrôles de diffusion, que nous exerçons, permettent d’avoir une réflexion clinique en équipe. Cela nous permet de trouver le point d’équilibre entre le « laisser dire » et le « ne pas tout permettre ». Nous sommes responsables évidemment du jeune qui nous écrit mais aussi des lecteurs que nous ne devons pas non plus inquiéter. Il nous faut décider si le message peut devenir public et, en quoi dévoiler son mal-être aux autres, aidera un jeune à aller mieux, voire à éviter le chemin du suicide. Il nous faut évaluer les conséquences sur les lecteurs que nous devons également préserver, car un message trop lourd, est inquiétant pour les adolescents les plus fragiles et les plus jeunes.Témoins de leurs échanges, nous intervenons peu sauf si le risque suicidaire est récurrent, imminent et que l’adolescent ne parvient plus à retrouver pied. Parfois, il est nécessaire de contenir certains qui se répandent trop, et qui s’éparpillent dans leurs mots et dans leur souffrance. Ne pas réagir en tant qu’adultes, ce serait laisser faire et ne pas protéger. Les petits coups de déprime se manifestent aisément sur le forum, donc dans l’espace qui les concerne, entre eux. Le mal-être plus ancien et peut-être plus profond s’y raconte, bien sûr, mais il est évoqué sans détour et plus facilement qu’au téléphone, sur des espaces qui sont plus confidentiels.