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Les espaces individuelsAu travers du mail ou du tchat individuel, Internet constitue un espace psychique élargi. L’écran de l’ordinateur est vécu comme l’ardoise magique sur laquelle l’adolescent voudrait voir s’inscrire la solution à tous ses maux. Les adolescents y cherchent une relation virtuelle, sécurisante, à la fois proche, mais suffisamment distante, pour ne pas être envahis par l’adulte. « Bonjour, je vous envoie ça car j’ai envie de foutre ma vie en l’air. La vie n’a plus aucun goût à mes yeux. Je ne connais même plus la vraie définition. Personne ne me comprend et pense que c’est une envie comme toutes les autres et que ça me passera ; mais j’en peux plus. Mon mal-être est profond. L’amour m’a détruit une fois pour toutes. Au revoir. »Les adolescents ne veulent pas être considérés comme trop déprimés, ni être démasqués mais ils sont inquiets de disparaître aux yeux des autres et de notre équipe. Internet devient alors un bon support pour romancer une situation, créer du suspense, attendre, reprendre, gérer le temps. Les silences sont beaucoup moins angoissants qu’ils ne le seraient à l’oral. Les adolescents jouent un engagement-désengagement relationnel. Ils se branchent et se débranchent, à leur convenance, et osent révéler ce qu’ils ne disent pas aux professionnels, en face à face.Ils peuvent nous alerter en étant omniprésents. Ils peuvent envoyer beaucoup de messages vraiment bouleversants, grâce aux différentes portes d’entrée de Fil Santé Jeunes. Ils les choisissent pour mobiliser un maximum de soutien. Mais, ils peuvent aussi être très absents et nous inquiéter. Ils disparaissent un certain temps sans possibilité pour nous de les retrouver, puisque c’est anonyme. On ne peut pas retrouver un jeune qui va mal. Ce qui nous rassure, par contre, c’est qu’on peut considérer qu’un adolescent qui va mal, est un peu comme un automobiliste qui arrive devant un rond-point. Il doit choisir une direction entre la peur du passage à l’acte, le désir de mourir et le souhait de vivre autrement. Charge à nous de lui proposer, peut-être, une autre direction.Un adolescent peut nous inquiéter par mail et dans le même temps être très soutenant pour les autres sur le forum ou sur HABBO. On arrive plus ou moins à repérer un jeune en particulier, dans sa thématique de messages ou dans sa manière d’interagir. Cela peut nous rassurer comme nous alarmer. Quelle que soit la porte d’entrée, il reste inquiétant. Les humeurs changent et se devinent au travers des transformations de pseudos et de changements d’apparence, des avatars sur HABBO, sortes de projection de leur état psychique. L’adolescent suicidaire n’annonce pas toujours clairement ses idées, mais s’exprime defaçon indirecte souvent dans un contexte de désespoir. Derrière un message autour de la contraception, d’une grande fatigue ou d’une question médicale, se camoufle parfois un mal-être que nous devons savoir traduire. Identifier le risque suicidaire, c’est reconnaître l’idée de suicide ; c’est reconnaître la souffrance morale et la dépression et dire que, si elles sont autorisées, elles sont évidemment mauvaises conseillères.Au téléphone, on a au moins la voix pour sentir un mal-être ou quelque chose qui peut être dit sans l’être véritablement. Sur Internet, nous n’avons pour comprendre et sentir l’urgence d’une situation, que nos hypothèses, notre expérience et notre imaginaire. Pour repérer l’intensité du malaise, tout se passe dans l’instantanéité. On peut utiliser la taille des lettres, le style d’écriture, l’utilisation de majuscules, la longueur des phrases, du message, son envoi répété, son titre, l’évolution des fautes de français ou de l’orthographe, le vocabulaire, les espaces, les smileys et les pseudos.Tout ce qu’on voit à l’écran constitue la signature du message et nous permet de redonner une petite vision de l’adolescent et imaginer ce qu’il peut y avoir derrière ces messages.Les messages d’adieu courts, clairs, précis sur un désir de mort imminent et programmé, nous inquiètent. Lorsque la douleur est décrite avec précision et intensité, sans échappatoire suggérée. Si nous sentons un risque majeur, nous allons proposer d’entrer en contact oralement avec le jeune par l’intermédiaire du téléphone. L’oral permet souvent de nuancer rapidement une situation, de rassurer ou au contraire d’alerter encore plus. Il s’agit de repérer le positionnement du curseur entre le mal-être et la crise suicidaire, évaluer les risques et les facteurs de risques, l’imminence d’un passage à l’acte, un éventuel scénario suicidaire, une absence d’alternative au suicide, l’accessibilité directe à un moyen envisagé et éventuellement sa létalité.L’art de notre travail va être de ne pas perdre l’adolescent et de l’inciter à nous donner son accord pour être secouru avec toute l’ambivalence que peut représenter, pour lui, notre refus de le voir finir avec la vie. Nous l’invitons, parfois avec fermeté, à considérer que c’est par la rencontre, et par le partage d’affect qu’il pourra sortir de l’impasse. S’il refuse notre aide ou si nous ne pouvons pas le joindre, nous pouvons informer la Brigade des Mineurs par une plate-forme particulière PHAROS, pour une sortie d’anonymat. Elle permet donc d’envoyer les secours directement au domicile du jeune.En 2014, Fil Santé Jeunes a fait 7 sorties d’anonymat au téléphone sur les 96 000 appels traités ; et 1 seule sortie d’anonymat pour des raisons suicidaires sur les 2 752 000 visites que nous avions eues sur le site.REPÉRAGE DES SITUATIONS À RISQUES | 25


































































































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