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L’étape de la compréhensionVient le temps de comprendre ces repérages ; entendre le discours de l’adolescent et la conflictualisation psychique qui peut commencer à s’établir. Cette écoute permet de passer d’une externalisation de ses ressentis, de cette souffrance et d’une figuration sur le corps à une mise en sens, à une mise en pensée interne en voie de subjectivation. Il s’agit donc vraiment d’accompagner l’adolescent, de renforcer ses défenses pour l’aider à lutter contre ce qui l’attaque, ce qui le menace, ce qui le fragilise. Le psychologue et les professionnels de l’adolescence aident, ainsi, à consolider ces défenses. Il est important que le professionnel de l’adolescence dise son inquiétude.Est-ce qu’en matière de repérage, il s’agit seulement d’avoir des indicateurs précis, ou est-ce qu’il s’agit d’un positionnement, finalement, d’une attitude plus générale, plus globale ?Dans toutes situations d’écoute, on peut repérer des ruptures inédites dans les conduites, mais aussi dans le discours ou dans le fil de la pensée.La rupture du discoursElle peut faire écho, autant au niveau du fond que de la forme, et entrer en résonance avec la rupture réelle de l’adolescence ; qui plus est, avec celle de la psychopathologie, dans la tentative de suicide ou dans les coupures. On peut faire le lien entre le vécu et les ressentis psychiques de l’adolescent en grande souffrance, et la forme ambivalente de leur discours.On remarque, par exemple fréquemment, des ruptures totales dans les discours, des changements brutaux de sujets, des passages du coq-à-l’âne, sans aucune mise en garde. Ces ruptures s’accompagnent souvent de silences, qui peuvent être plus ou moins longs. Ces blancs dans les propos semblent correspondre à des moments où, le sujet, évoque des représentations qui l’embarrassent, ou qui le renvoient à des affects encore trop forts ou trop difficiles à penser, à surmonter. Ainsi par exemple une jeune fille qui déclare à propos des scarifications : « Je me sens mieux. » Phrase suivie d’un très long silence pendant lequel elle parait chercher ses mots pour poursuivre : « Je m’abîme. »Une autre qui énumère tous les endroits où elle se taillade et qui à un moment donné dit : « À la cheville, c’est mieux, parce que ça ne se voit pas ; ou alors les poignets, là, c’est plus... » Et cette phrase reste en suspens. Aucun mot ne permettant à cette adolescente d’exprimer sa pensée. Ou encore : « J’ai envie d’écrire des poèmes, ce qui passe par la tête. »Nous percevons la difficulté à mettre en mots, à symboliser les ressentis psychiques de façon à communiquer clairement les pensées.Les répétitionsElles peuvent traduire ce phénomène de filtrage des pensées, notamment un grand nombre de juxtapositions, d’énumérations ou de paradoxes. Ainsi, cette jeune fille très concernée par les scarifications, qui explique que, plus les autres réagissaient, plus elle se tailladait profond, tout en continuant dans la même phrase : « Je ne veux pas les voir souffrir. » Ou, une autre qui dit : « Ça m’embête vis-à-vis de ce que les autres pensent, mais jem’enfous!»On constate, ici, les ambivalences dans les sentiments, qui désirent une chose et son contraire à la fois ; ces contradictions qui pourraient s’expliquer parl’émergence d’affect intense que la pensée n’a pas encore intégré. Citons les affects qui lient amour et haine et qui envahissent l’adolescent depuis ses actes de rupture comme, par exemple, une tentative de suicide. Ces différentes sortes de rupture, dans le discours, constituées, soit de changements brusques de thématiques, de blocages ponctuels ou définitifs du processus de pensée, apparaissent importants à souligner et à repérer.Silences et évitements mettent en relation la résonance psychique intime des adolescents et leur mal-être. Le déni, le clivage et la modération, leur permettent de le rendre plus acceptable et représentable dans leur appareil psychique.Un jeune adolescent, rencontré en prison, et très agressif par ses mots jusqu’au moment où je traduise son ressenti, sa violence, en la nommant souffrance. Ce jeune me répond : « Vous croyez quoi ? Que je suis un schlag. » Alors, un « schlag », je lui demande ce que c’est. Il me dit : « Un schlag, c’est pire qu’un boloss. »Ces ruptures ne sont pas forcément des indicateurs d’une pensée barrée ou pauvre. Cette structure du discours peut être entendue autrement et, au contraire, on peut voir chez ces adolescents, une dynamique psychique nourrie de défenses variées. Un des objectifs d’évolution sera de re-conflictualiser la pensée.Une adolescente dit : « Quand j’ai découvert la réalité dans l’enfance, j’étais sur mon petit nuage, heureuse, toujours heureuse. Je ne voyais pas tous les soucis de mes parents, tout ce que je vivais. Heureuse, j’étais simplement heureuse. Arrivée à l’adolescence, vers 12 ans, tout m’est tombé sur la tête. J’ai compris plein de choses que j’ai vécues, qui avaient été assez horribles, mais qui, pour moi, étaient un jeu, la vie. Cette arrivée dans la réalité m’a fait pleurer plus d’une fois. » Ici, l’inédit s’est révélé dans l’après-coup. On peut repérer l’inédit dans les troubles de conduite alimentaire, dans les idées suicidaires, dans les violences envers soi, dans différents passages à l’acte qui n’étaient ni actés, ni même envisagés, avant le seuil pubertaire. Des scenarii singuliers, pour exprimer la souffrance, apparaissent. Ils peuvent se lire dans les écrits ou les traces que les adolescents laissent sur les murs du collège, les murs de la ville ou bien les murs Facebook, sur leur peau, sur leurs vêtements... Ils peuvent s’entendre dans des mots jetés à l’adulte, criés, chantés, slamés, rappés ; ou se voir dans les images que ce soit des images sur leur corps, des gribouillages corporels, des tatouages, des photos et autres selfies ou encore des smileys.Les ruptures, les coupures, les fêlures, les mouvements psychotiques, les bizarreries, tous ces éléments sont des indicateurs cliniques de la souffrance adolescente. Ils peuvent être repérés, tant sur le corps, que dans les actes, dans le discours ou l’écrit. Ce qui est fondamental pour cela, est de se laisser bercer, parfois heurter par ces tentatives, parfois désespérées, de créer leur histoire en passant par des chemins tortueux. Trouver une écoute, mais pas que ; c’est ça qui est important pour les adolescents. Trouver des mots prêtés par l’adulte. Le professionnel de l’adolescent doit être capable de s’arrêter, à un moment donné sur ce chemin, pour observer, penser et prendre le risque d’accompagner l’adolescent face à ce saut dans le vide symbolique que représente la rupture. Ainsi, repérer, c’est donc voir au- delà de notre propre dépressivité.« Ça m’embête vis-à-visde ce que les autres pensent,mais je m’en fous ! »REPÉRAGE DES SITUATIONS À RISQUES | 21


































































































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