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20 | REPÉRAGE DES SITUATIONS À RISQUESÊTRE SENSIBLE AUX RUPTURESMarionHazaDocteur en psychopathologie clinique et Présidente de l’ARCADUne clinique de l’inéditPour reprendre un propos sur l’adolescence de Patrick Brun, nous sommes face à une clinique de l’inédit ; une clinique qui apparaît comme une manière de se frayer un chemin jusqu’à la parole de l’autre adolescent. L’inédit représente le nouveau, l’extraordinaire, ce qui n’a jamais été édité, ce que l’on a jamais connu. L’inédit, chez l’adolescent, correspond à la découverte de toutes les possibilités liées à la nouveauté pubertaire, à l’exceptionnel et au spectaculaire de ces découvertes. Cet inédit court-circuite parfois l’adolescent dans son évolution. En effet, ces actes, ces risques révélés au grand jour étaient méconnus, jusque-là, du fonctionnement infantile, et exclus de la latence.Il amène donc des résultats jamais édités avant, des sensations, des émotions, des rencontres. Un moment des possibles, mais aussi des désillusions. Et, c’est bien la modalité de traitement de la perte qui détermine le processus adolescent et sa possibilité de dégagement. L’adolescent a la capacité d’invention, tant dans le positif que dans le morbide et la psychopathologie, génie adolescent selon Philippe Gutton.L’inédit est donc une belle condensation sémantique du fantasme adolescent, de cette quête interminable. Il convoque inéluctablement la surprise chez le professionnel.Le jeune auteur Sacha Sperling écrit : « À l’adolescence, les illusions donnent sur la cour. Je n’avais aucune idée de la mélancolie que pouvait m’inspirer un ciel de fin d’été, si bleu soit-il. Comme moi, vous avez un jour regardé le ciel à l’aube du crépuscule en vous demandant pourquoi les étoiles n’arrivaient pas. Comme moi, vous avez compris que votre vie allait commencer sans que vous n’y puissiez rien parce que comme moi, vous avez eu 14 ans. » Ce livre- là était suivi d’un autre roman, qu’il a écrit à l’âge de 20 ans qui s’appelle : « J’ai perdu tout ce que j’aimais. » Ainsi, apparaît clairement dans cette création adolescente d’écriture romanesque, la rupture du processus adolescent.L’adolescence ou la ruptureJ’envisage l’adolescence sous le versant de la rupture, à l’instar d’écrits tels que ceux de François Ladame : rupture dans la continuité corporelle de l’enfance, dans la représentation psychique de soi. les actes, que sont les tentatives de suicide, les scarifications, sont considérés comme des manifestations réelles mais aussi symboliques de rupture. En finir avec l’existence dans l’objectif d’une renaissance, pour la tentative de suicide, fait réfraction dans le corporel : dépasser, effacer la frontière entre le dedans et le dehors avec les scarifications, en se coupant la peau.Repérer la souffranceIl me semble que ce qui est fondamental pour ce repérage, c’est tout d’abord de considérer, que la clinique avec les adolescents, nous conduit à nous intéresser à l’importance de la relation, de la rencontre ; en résumé, des mouvements transféraux contre transférentiels. S’il y a bien une clinique qui impose, qui convoque le contre transfert, c’est bien celle de l’adolescent. C’est ce que propose François Marty. De nos jours, un traitement assez technique dessymptômes, d’une formalisation de ces rencontres, de ces relations nécessitant divers accessoires, ce n’est pas nécessairement la disparition du symptôme où apparaît l’enjeu. La déprime peut être autorisée. L’important, c’est de ré-enclencher la subjectivation adolescente. L’écoute est aussi importante que le savoir. Aussi, l’engagement du professionnel demeure l’un des outils majeurs. La co-construction du sens permet au sujet d’élaborer et de mettre des mots sur son ressenti psychique, de faire des liens.Le rôle du clinicienAu sens étymologique, le clinicien est celui qui se penche au chevet du malade, qui écoute son corps, ses pulsations, sa respiration, ses gémissements, c’est-à- dire tout ce que produit le corps, tout ce qui bouillonne dans le corps, comme le proposait Hippocrate, au départ. Ce clinicien joue un rôle d’écoute bienveillante. Il recueille les paroles de l’adolescent, comme il recueille quelque chose pour y veiller, pour en prendre soin. Il s’agit, dans un premier temps, sans interprétation, sans aller au-delà de ce qui est apporté, d’entendre et d’être présent. Ceci peut représenter l’inverse de ce que les adolescents ont parfois connu, ou connaissent dans leur famille. Le professionnel peut contenir les paroles et les mots. Il est capable de les supporter en tant qu’adulte, sans être anéanti. Quand bien même ces mots sont très crus, très proches de l’horreur de l’acte. Je pense à une adolescente qui décrit, par exemple, ses scarifications Elle décrit, avec précision, comment elle appuie la lame sur sa peau, comment la peau se coupe, se déchire, le sang qui coule. Ce sont des scènes où on se retrouve vraiment en spectateur, en voyeur de ces scènes, en témoin de l’existence et de la réalité de cette souffrance.Ce qui apparaît important ici, c’est de ne pas chercher à éliminer l’acte, directement, mais à le prendre en considération. Ceci laisse à l’adolescent la possibilité de se présenter avec cette modalité défensive, avec cette solution qu’il a développée, même si ce n’est pas celle qui lui permettra de sortir tout seul de son mal-être. L’adolescent donne l’impression d’avoir besoin de se sentir accepté avec sa souffrance et avec sa conduite d’attaque envers son corps, envers sa vie. Ainsi, les tentatives de suicide, les coupures, les brûlures, les maltraitances diverses du corps, la sexualité peuvent se déverser auprès d’un adulte.Ensuite, il faut considérer les actes comme une concrétisation de la souffrance non figurée psychiquement. Chez l’adolescent, cette figuration va être matérielle, corporelle. Elle demeure ainsi visible, à la fois aux yeux de l’adolescent, mais aussi aux yeux de l’entourage dans un jeu de montrer/cacher. Cette transparence du mal-être semble indispensable aux yeux des adolescents qui ressentent le besoin de voir figurer leur souffrance en images, sur leur corps, dans l’espace commun de la société. Je me réfère à la définition psychanalytique de la figuration en tant que représentation visuelle, comme s’il était impossible pour ces adolescents de contenir ces éléments en eux. Ainsi, l’observation du corps des adolescents, de ces marques, l’observation de leur conduite extériorisée est un puissant indicateur de leur mal-être.


































































































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